Les causes de l’addiction ne sont pas celles que vous croyez

Si vous m’aviez demandé ce qui rend dépendant à la drogue, je vous aurais répondu : « les drogues… ». Ce n’est pas difficile à comprendre. Imaginez que vous preniez une drogue vraiment puissante tous les jours pendant 20 jours. Les chances pour que votre corps réponde aux propriétés addictives de la substance et réclame sa dose le 21e jour paraissent élevées.


Cette idée a été confirmée par les recherches sur les causes de l’addiction, notamment des expériences effectuées sur des rats. Le test consistait à mettre un rat seul dans une cage et de lui laisser le choix entre une bouteille d’eau et une bouteille contenant un mélange d’héroïne et de cocaïne. La majorité des rats participants à l’expérience sont devenus obsédés par la bouteille contenant le mélange de drogues et se sont resservis jusqu’à en mourir.

L’expérience du Parc à Rats

Le résultat semble simple et clair, mais dans les années 70 le professeur de psychologie Bruce Alexander conduit des recherches qui mèneront à de nouvelles découvertes. Il divise le groupe de rats en deux parties. Le premier groupe est isolé dans des cages et il a le choix entre une bouteille d’eau ou le mélange de drogues. Le second groupe vit dans un parc à rats, comprenant de la nourriture et différents types d’activités.

Résultat : les rats du premier groupe ont répété la conclusion des précédentes études, mais les rats du second groupe ont eu une attitude différente. Ils n’ont bu qu’¼ de la bouteille comprenant des drogues et aucun d’entre eux n’est mort. Les rats à l’environnement triste sont tous devenus ‘accros’ à la drogue, alors que chez les rats vivant dans un environnement joyeux aucun ne l’est devenu.

Au départ, je pensais qu’il s’agissait d’une ‘bizarrerie’ propre aux rats. Jusqu’à ce que je découvre un phénomène équivalent chez les hommes. Lors de la guerre du Vietnam pour les soldats américains l’usage de l’héroïne était aussi courant que celui du chewing-gum. D’après une étude publiée par les Archives of General Psychiatry 20% des soldats américains étaient ‘accro’ à l’héroïne.

Du jour au lendemain 95% des soldats ‘accro’ ont arrêté l’héroïne quand ils sont revenus au pays. Comment ont-ils fait ? Au retour ils ne voulaient tout simplement plus prendre de drogues.

Parc à rats et désintoxication

Le professeur Alexander a également effectué des tests pour comprendre comment réagirait un drogué compulsif. Il a rendu un groupe de rats ‘accros’ en les isolants et en les droguant pendant 57 jours consécutifs. Après quoi il les faisait entrer dans le parc à rat, où ils ont repris rapidement une vie sociale et ont arrêté l’usage massif des drogues.

La première fois que j’ai entendu parler de cette expérience, je suis resté perplexe. Le résultat était totalement à l’opposé de ce que nous pensions à l’époque. Mais plus je rencontrais de scientifiques, plus l’étude semblait dire vrai. Par exemple, pour soulager la douleur d’une hanche brisée vous pouvez recevoir de la diamorphine (le nom médical de l’héroïne). À l’hôpital de nombreuses personnes reçoivent de l’héroïne sur des périodes de temps longues. Selon les anciennes théories autour de l’addiction, de nombreux patients sortant de l’hôpital devraient ressentir le manque et chercher à se droguer.

Mais ça n’arrive pas… La même drogue, administrée sur la même échelle de temps, transforme les utilisateurs illégaux en drogués désespérés et laisse les patients de l’hôpital sans affections. Les anciennes théories sur l’addiction ne peuvent pas expliquer ce phénomène, alors que la théorie de Bruce Alexander offre une interprétation.

L’utilisateur illégal est « dans la première cage », il est isolé, seul, la drogue est pour lui un réconfort. Alors que le patient médical est « dans la seconde cage », il rentre à la maison dans une vie où les gens qui l’aiment vont prendre soin de lui. La drogue est la même, mais l’environnement est différent.

Ce qui nous amène à des réflexions plus profondes que la compréhension de l’addiction. Selon le professeur Peter Cohen l’être humain a un besoin profond de créer du lien et des connexions. Lorsque nous n’arrivons pas à nous connecter avec les autres, nous nous connectons avec tout ce que nous pouvons. Un héroïnomane ce connecte à l’héroïne parce qu’il n’a pas réussir à se connecter pleinement à autre chose.

L’opposé de l’addiction ce n’est pas la sobriété, c’est la connexion humaine.

Quand j’ai appris ça, j’étais presque persuadé, mais il subsisté un doute. Est-ce que les propriétés chimiques de la drogue n’ont vraiment pas d’effet sur la force de l’addiction ? Je me suis rendu à une réunion de joueur anonyme à Las Vegas et j’ai vu des personnes qui vivaient des addictions aussi fortes que les cocaïnomanes et les héroïnomanes. Vous pouvez devenir ‘accro’ au jeu et pour autant personne ne vous a injecté un paquet de cartes dans les veines.

Ironiquement, la guerre contre les drogues amplifie régulièrement les facteurs d’addictions. Par exemple, dans une prison d’Arizona, « Tent City », les détenus punis pour utilisation de drogues sont enfermés dans des petites pièces d’isolation. Il s’agit du système le plus proche que je puisse imaginer des cages d’isolations réservées aux rats de l’expérience.

Il existe une alternative à ce système. Vous pouvez aider les drogués compulsifs à se reconnecter avec le monde – et ainsi, dépasser leur addiction.

Je ne vous parle pas de quelque chose théorique, mais de ce que j’ai vu. Il y a environ 15 ans, le Portugal faisait face aux pires problèmes de drogues de toute l’Europe. 1% de la population i était ‘accro’ à l’héroïne. Ils avaient déjà essayé de faire la guerre à la drogue de manière classique, ce qui n’a fait qu’empirer le problème. C’est alors que le gouvernement a essayé quelque chose de radicalement différent. Ils ont dépénalisé la drogue et ont transféré le budget attribué à l’arrestation des drogués dans des actions pour qu’ils se reconnectent avec eux-mêmes et la société. Le plus crucial était de les aider à trouver un logement et un travail.

Une étude indépendante, publiée dans le British journal of Criminology, a montré que depuis la dépénalisation, les injections de drogues ont diminué de 50%. La dépénalisation a eu un tel succès que très peu de personnes au Portugal souhaitent retourner à l’ancien système.

Pour sortir de l’addiction, nous avons besoin de connexions et d’amour. Mais nous avons créé un environnement et une culture qui nous coupe de cela. L’augmentation du nombre de drogués est un symptôme de la manière dont nous vivons. L’écrivain George Monbiot appelle cela « l’âge de la solitude ». Nous avons créé une société où il n’a jamais été aussi facile de se couper de toutes connexions humaines.

Bruce Alexander (le créateur du parc à rat) affirme que nous parlons depuis trop longtemps du rétablissement individuel. Maintenant nous devons commencer à évoquer un rétablissement social.

Mais cette nouvelle évidence n’est pas seulement un challenge politique. Elle ne nous force pas seulement à changer nos idées. Elle nous force à changer nos cœurs.

Ce texte synthétise les propos de Johann Hari l’auteur de Chasing The Scream : The First and Last Days of the War on Drugs

Source : http://www.huffingtonpost.com/johann-hari/the-real-cause-of-addicti_b_6506936.html

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