Antoine Bioy : « l’Hypnose pour guérir et reconnecter la tête et le corps »

reconnecter la tête et le corps


Antoine Bioy, Docteur en psychologie clinique, ancien hypnothérapeute au CHU Bicêtre, est professeur de psychopathologie et psychologie médicale à l’université de Bourgogne. Il est également expert scientifique à l’Institut Français d’Hypnose[1]. Pour le Mag, il fait le point sur la pratique de l’hypnothérapie et la place actuelle de l’hypnose dans le champ de la santé.

LeMag : Comment en êtes-vous venus à l’hypnose ?

Antoine Bioy : Il y a 26 ans, alors que j’étais adolescent, j’ai lu des livres sur l’hypnose, qui m’ont amené dans un premier temps à faire des études de psychologie. J’ai ensuite tout naturellement complété mon cursus  avec un enseignement de trois ans en hypnothérapie à l’Institut français d’hypnose.  J’ai ensuite eu l’occasion à l’hôpital de travailler avec un médecin qui avait également suivi une formation et s’était spécialisée dans la prise en charge de la douleur avec l’hypnose.  Ce qui a renforcé ma conviction d’utiliser cette pratique.

Quelle est votre perception de cet outil thérapeutique ?

L’hypnose est une façon de réécrire sa réalité. Bien sûr chacun de nous a une façon personnelle de vivre cette réalité, mais lorsque des difficultés surviennent chacun a aussi tendance à porter son attention et à la fixer sur ces problèmes. L’hypnose permet à la fois de donner plus de fluidité et de flexibilité dans ces processus, mais aussi de réduire la pression, de cette emprise que l’on a sur les symptômes et donc du coup du symptôme sur nous-mêmes. Cela permet aussi un peu de réécrire sa réalité, de jouer avec la perception entre le réel et l’imaginaire, de mieux apprendre à ressentir nos perceptions et nos émotions profondes, qui dans la perception de la réalité ne sont pas toujours clairement présentes. Je vois deux applications principales à l’hypnose : l’une est thérapeutique et l’autre est dans le champ du bien-être, et du développement personnel, de la santé au sens large.

Le rôle du praticien spécialisé est essentiel ?

Oui, car ça n’est pas l’hypnose seule qui va permettre cela, mais c’est l’accompagnement par un professionnel. Il y a souvent une mauvaise perception de l’hypnose, assimilée à un médicament qu’il suffirait de prendre. Ce n’est pas le cas. L’hypnose n’est pas magique. C’est une méthode, un processus qui doit être employé par un professionnel dans le cadre d’une relation avec un patient. Et chaque cas est particulier.

Est-ce que vous travaillez en collaboration avec d’autres thérapeutes ?

Oui, cela m’arrive assez fréquemment, avec des spécialistes de thérapie brève notamment ou encore ceux qui viennent d’autres écoles de type comportemental, cognitiviste ou psychanalytique. Ils ne m’envoient leurs patients parce qu’ils souhaitent que je travaille avec eux sur des points particuliers, parce qu’ils ont impression d’être dans un moment où ils tournent en rond et qu’ils ont besoin d’ouvrir une porte, ou encore pour travailler avec moi en parallèle de leurs consultations. Et de mon côté je peux faire la même chose lorsque je considère que l’hypnose n’est pas forcément la plus indiquée pour traiter le trouble de la personne. Car l’hypnose ne convient pas tout le monde, même si elle peut s’appliquer à tout le monde. Certaines personnes ont plus besoin de parler, d’élaborer, et ne se voient pas entrer dans un processus introspectif sans la parole.

Quels sont les exemples sur lesquels vous intervenez ?

Il y a souvent des cas, pour les thérapies TTC, de situation de TOC, de peurs, de phobies ou d’addiction. Certains par exemple vont me dire que grâce à leurs thérapies précédentes, ils se comprennent mieux, mais que cela ne change pas leur positionnement dans la vie. C’est-à-dire qu’il manque toute une dimension de travail autour du corps pour connecter l’intellect et le corporel.

Comment l’hypnose permet-elle cette reconnexion ?

Le propre du travail en hypnose est celui du travail autour du percept. C’est-à-dire, que la porte d’entrée de l’hypnose ce sont les perceptions corporelles, qui d’ailleurs commencent déjà à l’induction hypnotique lorsque l’on demande au patient de faire attention au contact qu’il ressent avec son fauteuil. On lui dit  quel que soit l’ici et maintenant de sa situation et quelle que soit la raison pour laquelle il est venu en consultation, il va ressentir la situation d’une certaine façon. La porte d’entrée est le champ de la perception et la façon dont l’individu se positionne à l’intérieur de sa vie.

Ces patients ont-ils des problèmes avec leur ressenti ?

Ils ont un assez bon ressenti, mais à partir du moment où il y a des maladies somatiques, leur corps parle une langue étrangère. C’est comme si leur corps basculait vers un langage pour lequel ils n’ont pas de grille de décodage. Pour les personnes qui ont des pathologies plus mentales, il y a une altération importante de leur conscience du corps. La personne ne va être que dans son anxiété, dans son trauma, dans son angoisse, dans les représentations mentales de ce qui lui est en train de lui arriver. D’ailleurs dans le champ du psycho-trauma, la première chose que l’on demande au patient, c’est de se créer un espace où il se sent en sécurité et dans lequel il pourra se réfugier au besoin. Systématiquement nous faisons travailler les gens dans cet espace avec leurs cinq sens, car le plus souvent ils vont privilégier une perception, par exemple visuelle. Or précisément, ce que l’on veut, c’est que la personne retrouve la pleine perception multi-sensorielle de l’endroit où il se trouve. De l’événement traumatisant par exemple, dont il n’a gardé en souvenir qu’un seul aspect sensoriel. Il faut le faire retravailler avec tout le corps, au-delà de la simple trace qui leur reste de cet événement. On les replace au temps présent de leur trauma.

Comment se déroule une séance ?

On peut prendre un exemple courant, celui de vouloir arrêter de fumer. La première question que je pose, est celui du pourquoi elle veut arrêter. La personne ramène le plus souvent un discours social, construit, de type « ce n’est pas bon pour la santé », etc.. On essaie de travailler sur la motivation que la personne a pour arrêter, mais aussi il faut travailler avec elle sur les avantages et les inconvénients de l’arrêt du tabac et de ce qui peut se passer après l’arrêt. Si ça doit disparaître, par quoi elle va le remplacer et quelles sont les raisons principales de son habitude. Dès lors que cela est clarifié, on travaille sur les perceptions, avec la visualisation, les métaphores qui en hypnose permettent de fournir des suggestions au long cours à l’abri de l’attention de la personne. Avoir la connaissance du sens de « pourquoi je fume » ne veut pas dire que le comportement va changer. Mais par la connaissance de la fonction, cela permet de cadrer cette activité. Car qui dit fonction, dit par quoi on va le remplacer. De fait, l’hypnose ne commence pas avec la séance d’hypnose, mais avec une analyse de la demande, afin de voir quelle voie pourrait être la plus adaptée pour résoudre le problème. Sur une heure de consultation, il y a à peu près une vingtaine de minutes en hypnose formelle.

Est-ce que le patient peut compléter ce travail avec de l’autohypnose ?

À la façon dont les gens entendent l’autohypnose, non. On peut tous entrer spontanément dans un état d’hypnose, mais cela est non intentionnel, comme lorsque l’on rêvasse en lisant livre. Si l’on veut vraiment la pratiquer, il faut d’abord le faire avec un praticien, car la connaissance livresque ne suffit pas, puis de pratiquer seul. Il s’agit d’apprendre à se mettre en condition de façon intentionnelle, mais en « lâchant » ses pensées. La difficulté étant de se dire « il faut que je fasse cela » et de le faire sans y penser. La grande vertu de l’autohypnose et de suggérer au patient qu’il est capable de faire des choses par lui-même. L’autohypnose est un bon moyen de prolonger la relation avec le praticien, et aussi de donner au patient le sentiment qu’il est capable de prendre en charge sa santé sans être dépendant tout le temps d’une consultation.

Comment décrivez-vous l’état hypnotique ?

Je préfère au terme habituel « d’état modifié de conscience » celui « d’état de conscience modifiée », car il n’existe pas « une » conscience avec des variations autour d’une conscience normative, mais bien une succession d’état de conscience différents. Et ce que l’on vit à travers l’hypnose vise à modifier intentionnellement l’état de conscience qui est déjà présent, en nous faisant passer par différents niveaux de vigilance. Je suis d’ailleurs assez partisan d’Émile Coué qui a été injustement caricaturé. Sa méthode était loin d’être aussi simpliste qu’on le dit, tout comme les suggestions qu’il avait mises au point. Il proposait par exemple de se faire 20 nœuds à une ficelle et d’égrener au moment de la relaxation le soir les différentes suggestions mémorisées, et donc d’injecter par un geste automatique des suggestions au moment où la conscience plane, ce qui est très proche de la description des suggestions répétitives de l’autohypnose. Mais à la différence de l’autodénigrement où l’on peut se dire, « je suis nul, je n’y arriverais pas », il ne propose pas de dire, « je suis bon », mais plutôt « je vais donner le meilleur de moi-même pour y arriver, » ou « être aussi performant que possible dans une activité donnée ».

Les travaux en neurologie de ces dernières années ont été bénéfiques à l’hypnose ?

Oui, l’immense intérêt de l’imagerie sur le cerveau a permis de mieux cerner certaines des caractéristiques scientifiques de l’hypnose. La question n’était plus, « est-ce que ça existe », mais « qu’est-ce que l’on peut en faire » ? Les neurosciences ont permis un bon majeur. L’autre apport essentiel a été de montrer comment l’hypnose interagit dans le cas de traitement de douleurs aiguës, notamment au niveau des circuits de l’analgésie. Cependant, cela ne montre pas ce qu’est l’hypnose en tant que telle. La recherche se penche désormais sur  l’hypnose comme un modèle expérimental d’étude sur les troubles dissociatifs, hallucinations, troubles délirants ou conversifs. En psychologie, sur les aspects relationnels et autour du vécu hypnotique, notamment.

Comment faire évoluer la perception des médecins sur l’hypnose ?

A ce jour, l’hypnose est sans doute parmi les objets de science les plus étudiés au monde, parce qu’elle permet d’interroger la psychopathologie, d’interroger la douleur. Il y a donc une littérature extrêmement abondante et diverse sur le sujet, et celui qui la nie est simplement mal informé. Finalement, là où c’est le plus facilement adopté, à l’hôpital par exemple, c’est dans les domaines ou les médecins sont démunis, face à une grande incertitude (dans le champ de la douleur chronique notamment). Le professionnel, là où il ne sait plus faire, va faire appel à des pratiques complémentaires ou alternatives, pour ne plus ressentir ce sentiment d’impuissance.

Que pensez-vous des médecines alternatives et complémentaires ?

J’aime bien le terme de thérapie complémentaire, d’abord parce que cela la décrit bien — c’est-à-dire que toute civilisation possède une médecine dominante et donc des approches complémentaires — et aussi parce que ce sont des pratiques qui viennent en complément d’une formation de base indispensable. Je me méfie des restrictions  en terme de formation. Je prends par exemple le cas de l’acupuncture, qui en Chine représente six ans de formation traditionnelle, plus six ans de spécialisation en acupuncture. En médecine chinoise il y a une philosophie globale de l’être : il faut apprendre à s’assoir en face du patient et à le percevoir avant même que d’avoir à le toucher. Il y a donc toute une philosophie de l’être, de ce qui anime l’individu qui est transmis avec l’aiguille qui va servir à stimuler le point d’acupuncture. Je suis très circonspect sur les diplômes obtenus en 140 heures d’étude, avec les déviations et l’appauvrissement que cela implique. Parce qu’ainsi on réduit ces méthodes complémentaires à des pratiques purement techniques alors que précisément leur intérêt n’est pas là, mais dans une certaine réinscription de l’homme dans l’entièreté de son écosystème. J’aime bien le terme d’écothérapeute, qui permet de replacer l’individu dans son environnement global et systémique.

Propos recueillis par Jean-Rémi Deléage

[1] Depuis 2012 : Expert scientifique de l’IFH, responsable du cycle d’hypnothérapie. Il est aussi enseignant chercheur au Laboratoire de Psychopathologie et de Psychologie Médicale (LPPM) de l’Université de Bourgogne, Dijon.
 (DU Hypnothérapie)

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Photo de Une : Extrait de la vidéo « Interview croisée : Antoine Bioy et Luis Villanueva »